Le cirque de Paris en 1983 est mon premier travail photographique, un travail hanté, peut-être par le souvenir des photographies de Brassaï sur cet univers qui a fasciné bien des artistes. Pendant une année, j’ai suivi l’errance de ce petit cirque familial qui voyageait dans Paris intra-muros. Mon intention n’était pas de documenter leurs spectacles, mais de témoigner des moments intimes de leur vie derrière le rideau. Cette série n’a pas été conçue de manière conceptuelle dans une rigueur discursive qui caractérise l’approche documentariste actuelle. Elle est constituée de photographies prises à des moments où je me faisais oublier ou lorsque qu’une complicité permettait qu’advienne un portrait individuel et singulier laissant entrevoir une émotion. Masques, maquillage, costumes n’empêchent dès lors plus le visage de repérer un instant de joie, de concentration, de tristesse, d’intime complicité entre les membres de cette famille. La recherche de cet instant de révélation dans lequel une personne se laisse deviner dans une expression faciale, l’intensité d’un regard, le naturel d’un geste ou d’une pose est très excitante pour le photographe, notamment avec l’argentique qui induit un rapport au temps très particulier. Tout le temps passé à approcher, découvrir, connaître la personne se trouve comme concentré dans cet instant fugace où le portrait surgit toujours de manière imprévisible. Photographier des artistes de cirque et composer des images à la fois de scène, de coulisses et de vie domestique c’est aussi susciter une réflexion sur le paraître et l’être, sur le masque (artistique, social) et sur la mise en scène. Le choix du noir et blanc a été évident : il m’a permis de trouver un équilibre et une justesse dans l’évocation délibérément retenue de l’exotisme du monde du cirque (lumières, costumes, scène, gestes) et de la nostalgie qui accompagne un monde en disparition. Mes tirages équilibrés ont conservé cette retenue et mis en valeur l’exploration discrète et respectueuse d’une intimité inattendue.
C’est à la vue de ce travail que Robert Doisneau m’a parrainé et accompagné. Ce fut une rencontre décisive dans ma confiance de jeune photographe. Plusieurs séries de portraits ultérieures se sont appuyées sur cette première démarche réfléchie de portraitiste.