L’ensemble des photographies constituant cette série, paysages et portraits, a été réalisé lors d’un voyage de plusieurs mois en Thaïlande. Les Chao Lee, nomades des mers, vivent dans un archipel paradisiaque au sud du pays. À deux reprises, je suis allé rencontrer ce peuple nomade contraint à être sédentarisé. Cherchant les traces de ces errances enfouies dans leur mémoire je tente de révéler sur ces visages ce qui pourrait me rendre « étranger » et différent à eux. L’anthropologue David Le Breton note que le visage est le lieu de l’autre, il prend naissance au cœur du lien social (Des Visages, Paris, Métailié, 1992). Et je me trouve pris dans ces regards posés sur notre mondialisation qui déferlent définitivement. Les yeux sont le point d’accroche de ces portraits. « Le langage des yeux est le cadre des choses qu’on ne dit pas. Le silence a la limitation des yeux. Les grands silences demandent un regard vaste, » écrit Malcolm Chazal. Les regards éloquents de ces gens devenus des amis comblent le silence inhérent à la photographie et en disent long sur leurs inquiétudes quant à un avenir qui risque de bouleverser le lien qu’ils ont avec le paysage et la nature environnante. Cette série instaure une complémentarité entre les portraits resserrés sur le visage et des paysages vastes. Pour le spectateur occidental, cette série fait peut-être écho à l’observation de Le Breton selon laquelle la définition moderne du corps implique trois retraits : l’homme est coupé des autres, coupé de lui-même et coupé du cosmos. À travers ces photos, j’ai tenté de souligner que pour les Chao Lee, le lien demeure tant que la modernité n’a pas instauré ces triples ruptures.